Pourquoi les colères des tout-petits nous bousculent autant
Une porte qui claque, un petit corps qui se jette par terre au milieu du salon, des hurlements parce que… le verre est bleu et pas rouge. Si vous vivez avec un tout-petit, vous voyez très bien la scène. Et parfois, même avec toute la bonne volonté du monde, l’envie de crier arrive plus vite que la patience.
Je vous rassure tout de suite : non, vous n’êtes pas un mauvais parent. Vous êtes un parent humain, fatigué, souvent sous pression, qui se retrouve face à un enfant dont le cerveau émotionnel est en plein chantier.
Comprendre ce qui se passe dans la tête (et le cœur) de votre enfant est la première clé pour accompagner ses colères sans crier. Et la bonne nouvelle, c’est que c’est possible, tout en restant ferme, sécurisant… et respectueux de la loi qui encadre aujourd’hui les pratiques éducatives en France.
Ce que disent les lois françaises sur les colères et les “fessées éducatives”
Depuis quelques années, la loi a clairement posé un cadre concernant la manière dont on a le droit d’éduquer les enfants en France. Elle ne parle pas de colères en tant que telles, mais de la façon dont les adultes peuvent (ou plutôt ne peuvent pas) y répondre.
Quelques textes importants :
- L’article 371-1 du Code civil rappelle que l’autorité parentale doit s’exercer “sans violences physiques ou psychologiques”. Autrement dit, l’éducation ne peut plus s’appuyer sur des coups, des humiliations, des cris répétés, des menaces.
- La loi n° 2019-721 du 10 juillet 2019, dite loi sur les “violences éducatives ordinaires”, interdit explicitement les châtiments corporels (fessées, gifles, tapes) et les violences humiliantes. Le but est de protéger l’enfant et de promouvoir des méthodes éducatives bienveillantes.
- La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ratifiée par la France, rappelle dans son article 19 que les États doivent protéger l’enfant “contre toutes formes de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales”.
Crier sur un enfant de façon répétée, l’insulter, le menacer peut s’apparenter à des violences psychologiques. Nous ne sommes pas en train de parler d’un “oh là là, stop maintenant !” ponctuel, lancé sous le coup de la fatigue, mais de modes éducatifs basés sur la peur.
Accompagner les colères des tout-petits sans crier, ce n’est pas seulement un choix de style parental, c’est aussi s’inscrire dans un cadre légal et protecteur, pensé pour le bien-être et le développement de l’enfant.
Ce que vit réellement votre tout-petit pendant une colère
Avant 5-6 ans, le cerveau de l’enfant est encore largement dominé par les émotions. La partie du cerveau qui aide à contrôler les impulsions et à mettre des mots (le cortex préfrontal) est en construction. Lorsqu’il fait une crise, votre enfant n’est pas “manipulateur”, il est submergé.
Concrètement :
- Son cerveau émotionnel déborde : il ressent peur, frustration, colère, fatigue, mais il ne sait pas les réguler.
- Il a un stress intense : son corps libère des hormones du stress (adrénaline, cortisol), ce qui explique les cris, les gestes brusques, parfois même le fait de se rouler par terre.
- Il n’a pas accès à la logique : lui dire “calme-toi tout de suite” a à peu près autant d’effet que de dire à un volcan “arrête d’entrer en éruption”.
Votre rôle, dans ces moments-là, n’est pas de “faire taire” la colère, mais d’aider votre enfant à la traverser, en restant son adulte sécurisant. C’est là que les méthodes bienveillantes prennent tout leur sens.
Prévenir les colères : jouer sur ce qui est prévisible
On ne pourra jamais éviter toutes les colères (et ce n’est pas souhaitable : elles font partie de la construction de l’enfant). En revanche, on peut réduire la fréquence et l’intensité de certaines crises en travaillant sur les facteurs déclencheurs les plus courants.
- Le manque de sommeil : un enfant fatigué a beaucoup plus de mal à gérer sa frustration. Garder des routines de coucher stables et des réveils pas trop tôt, c’est aussi un geste “anti-crise”.
- La faim et la soif : un goûter en retard, un déjeuner sauté, et c’est le dérapage assuré. Avoir de l’eau et une petite collation à portée de main peut éviter bien des drames au parc ou en sortie.
- Les transitions mal préparées : passer brutalement d’une activité plaisante à une contrainte est souvent explosif (“On rentre, c’est fini le toboggan !”). Prévenir en amont, utiliser un minuteur visuel, annoncer les étapes aide l’enfant à se préparer.
- Les trop-pleins sensoriels : bruits, foule, lumière, fatigue parentale… L’enfant peut “saturer” et exploser. Dans la mesure du possible, limiter les surstimulations prolongées (centres commerciaux, journées trop chargées).
Prévenir, ce n’est pas céder à tout. C’est anticiper les moments de vulnérabilité de votre enfant pour éviter qu’il ne bascule trop vite dans la tempête.
Accompagner une crise sans crier : une marche à suivre concrète
Face à une crise, je vous propose une sorte de “trousse de secours émotionnelle”. Elle ne fera pas disparaître la colère, mais elle vous aidera à la traverser sans cris.
1. D’abord, sécuriser
Si votre enfant se débat, jette des objets ou tape, la priorité est la sécurité :
- Éloigner les objets dangereux (verre, objets lourds).
- Éviter les spectateurs inutiles si possible, pour que l’enfant ne se sente pas humilié.
- Se mettre à proximité, à hauteur de l’enfant, pour montrer que vous êtes là.
À ce stade, le but n’est pas d’expliquer ni de raisonner. Juste de poser un cadre physique sécurisant.
2. Rester calme… ou au moins silencieux
C’est souvent la partie la plus difficile. Crier vient souvent de notre propre sentiment d’impuissance. Quelques idées pour vous aider :
- Respirer profondément (vraiment, trois grandes inspirations peuvent changer le ton de votre voix).
- Si possible, se dire intérieurement : “Il ne me provoque pas, il est en détresse.”
- Accepter de ne rien dire pendant quelques secondes. Le silence vaut mieux que des mots qu’on regrettera.
Rester calme ne veut pas dire être d’accord avec le comportement de l’enfant. C’est juste décider de ne pas ajouter de l’huile sur le feu.
3. Nommer et accueillir l’émotion
Quand la crise commence à se stabiliser un peu, vous pouvez mettre des mots :
- “Je vois que tu es très en colère.”
- “C’est dur pour toi de partir du parc, tu aurais voulu rester.”
- “Tu es déçu, tu voulais ce jouet, et ce n’est pas possible.”
Vous ne cédez pas, mais vous reconnaissez ce que l’enfant ressent. C’est une étape essentielle pour qu’il apprenne, au fil du temps, à réguler ses émotions. Se sentir compris calme le cerveau émotionnel.
4. Poser un cadre clair, mais doux
L’éducation bienveillante n’est pas une éducation sans limites. Pendant ou après la crise, il est important de rappeler les règles :
- “Tu peux être en colère, mais je ne te laisserai pas taper.”
- “Je comprends que tu cries, mais je vais t’aider à respirer pour que ça fasse moins mal à ta tête.”
- “Le magasin, ce n’est pas l’endroit pour se rouler par terre. Si tu as besoin de pleurer, on va se mettre un peu à l’écart.”
Le message est double : l’émotion est accueillie, le geste violent est limité. Vous montrez qu’il est possible d’exprimer ce qu’on ressent sans tout casser autour de soi.
5. Proposer un “sas de retour au calme”
Une fois la tempête passée, beaucoup d’enfants ont besoin de contact physique pour se rassurer :
- Un câlin si l’enfant le souhaite.
- Une couverture, un coin calme, un doudou, un livre.
- Des respirations soufflées ensemble (“On fait la bougie qui s’éteint”, en soufflant doucement).
C’est aussi un moment pour glisser quelques mots simples :
“Tu as eu une grosse colère tout à l’heure. C’était difficile pour toi. La prochaine fois, on pourra essayer de…”
Inutile de faire un long discours. Un enfant en bas âge retient surtout le ton de votre voix et le message général : “Même quand je vais mal, mon parent reste là et m’aime.”
Et vous, dans tout ça ? Protéger aussi le parent
La loi, les neurosciences, la psychologie infantile… tout cela aide à mieux comprendre l’enfant. Mais il reste un élément clé : votre propre réservoir émotionnel. Personne ne peut accompagner sereinement des colères à longueur de journée avec un réservoir vide.
Quelques pistes réalistes :
- Repérer vos “moments à risque” (fin de journée, retour du travail) et alléger ce qui peut l’être.
- Prévoir un relais quand c’est possible (co-parent, grands-parents, ami, voisin de confiance) pour souffler.
- Accepter de s’excuser lorsqu’on a crié : “J’ai crié tout à l’heure, j’étais très énervée. Ce n’était pas la bonne façon. Je vais essayer de faire mieux.” C’est aussi un modèle éducatif.
- Si les colères de l’enfant sont très fréquentes et intenses, ou si vous avez l’impression de perdre le contrôle régulièrement, ne pas hésiter à consulter un professionnel (pédiatre, psychologue, médiateur familial).
Prendre soin de soi n’est pas un luxe. C’est un acte de responsabilité parentale. Un parent soutenu, informé et entouré a infiniment plus de ressources pour respecter le cadre légal, poser des limites et rester bienveillant dans la durée.
Accompagner les colères des tout-petits sans crier n’est pas un idéal inatteignable réservé à quelques parents “parfaits”. C’est un chemin, fait d’essais, d’erreurs, de petites victoires silencieuses. Chaque fois que vous parvenez à respirer au lieu de hurler, à nommer une émotion au lieu de punir à chaud, vous aidez votre enfant à construire un futur dans lequel les conflits ne se résolvent ni par la peur, ni par la violence.
Et ça, pour votre enfant, votre famille et même pour la société tout entière, c’est déjà immense.
Rosa
